La grossesse quand on n’aime pas ça
Il y a 7 ans, avant de tomber enceinte pour la première fois, j'avais lu que la grossesse était une période magique, qu'on rayonne, que sentir son bébé bouger est merveilleux, qu'on est resplendissante. Le tout sur fond de photos de mères souriantes et sereines, les mains sur le ventre, baignées d'une lumière douce et presque divine.
Mais voilà, je ne fais malheureusement pas partie de celles qui adorent être enceinte. Si au moins ça me laissait indifférente, mais pour moi, ce serait plutôt l'inverse : je n'aime pas être enceinte, ou en tout cas, je ne l'ai pas aimé quand je l'étais.
Pour moi, la grossesse a plutôt ressemblé à une période d'inconfort et de douleurs, un manque d'espace dans mon propre corps et un sentiment d'être diminuée dans de nombreux aspects de ma vie : travail, physique, mental, psychique.
J'ai eu cinq grossesses, mais seulement deux sont allées jusqu'à terme. Je vous parlerai ici de celles-là.
Si la première laissait place à toute la nouveauté qui couvrait un peu l'inconfort général, la deuxième était encore moins une partie de plaisir.
Pourtant, rien ne clochait à l'horizon, le bébé était en pleine santé, très attendu et techniquement parlant, tout allait bien au niveau du développement.
Ne vous méprenez pas : quand j'ai appris que j'étais enceinte, cela a été, à chaque fois, une grande et immense joie. Il n'y a rien à dire, c'est beau, c'est magique, ça transporte et j'en ai des frissons rien qu’à l'écrire. Je me rappelle de chacune des fois où j'ai découvert que j'étais enceinte.
Mais une fois passée cette délicieuse surprise, les premiers mois s'installent.
Mon corps commence vite à changer : c'est la période des nausées, de la fatigue intense, et surtout de l'angoisse que la grossesse ne tienne pas.
C'est une période où je me sens particulièrement seule. Ayant eu plusieurs fausses couches, je préfère attendre d'être sûre que tout va bien avant de l'annoncer à la famille. Voir la joie, puis la tristesse, sur les visages en plus de devoir gérer la mienne, c’est trop difficile pour moi. C'est donc assez seule que je vis les trois premiers mois, la fatigue, l'angoisse et les nausées à gérer au travail.
Le travail
Ensuite vient l'annonce à mon/ma patron.ne, qui, soyons honnête, bien que félicitée pour la forme, n'est jamais une nouvelle réjouissante.
J'ai dû arrêter de travailler les deux fois à 5 mois de grossesse et honnêtement, je l'ai vécu comme un frein. J'ai même trouvé ça injuste.
Ce n’est pas agréable de devoir arrêter de travailler parce que "je suis enceinte". Cet arrêt de travail, je le paie et pas seulement financièrement.
Je suis comédienne, et s'arrêter de travailler quand on est comédien, c'est précaire, c'est sortir du circuit, notre boulot ne nous attend pas après le congé maternité, on n'est jamais sûre qu'on en retrouvera quand on reviendra.
Pour ces 2 grossesses, j'ai cumulé plus de 2 ans d'arrêt de travail, car en plus de la grossesse et du "congé" maternité, nous n'avons pas eu de crèches avant les 8 mois des enfants.
Pendant ces années, mon chéri a pu ouvrir deux nouvelles entreprises. Je suis extrêmement fière et heureuse pour lui, ne vous méprenez pas, mais je comprends que les femmes aient de moins en moins envie de s'engager dans la maternité, car rien n'est fait pour pallier correctement à tout ce que l'on perd, notamment sur le plan professionnel.
(Vous l'aurez compris, je n'étais pas la plus joyeuse que toute la charge de porter les enfants repose entièrement sur moi. En plus de cela, se jouait dans mon corps un vrai chamboulement émotionnel.)
La douleur
Voir mon corps se transformer, c'est OK pour moi. Je trouve ça rassurant, comme le signe que la grossesse se poursuit bien, mais le ressenti à l'intérieur de ce corps transformé est tout autre.
Car là où ça devient vraiment compliqué pour moi, c'est quand le ventre, le vrai, débarque. Et moi, le ventre, ça, je sais faire. Le mien devient très vite comme un gros ballon, tout rond, dès le début. Je le porte tout devant. À quatre mois, il est comme chez certaines à 6 ou 7. Il y a mon ventre, et puis moi derrière.
Et avec le ventre viennent... les douleurs ligamentaires, qui chez moi sont devenues intenses à cause d'une maladie génétique. Au point de réduire considérablement ma mobilité au fur et à mesure que la grossesse progresse. La douleur est si vive à chaque pas. Rester trop longtemps debout fait mal, trop longtemps assise fait mal, marcher fait mal, même nager fait mal.
J'ai évidemment essayé différentes ceintures de soutien, de la kiné qui atténue un peu, mais la seule façon que ça s'arrête et que je puisse à nouveau marcher est d'accoucher. Je dois donc prendre "mon mal en patience" comme on dit.
Je me retrouve alors dans un corps fatigué, en douleur quasi permanente, lourd et encombrant.
La colocation dans le corps
Très vite, je me retrouve à l'étroit dans ce corps, je me sens lourde, empâtée. Je suis de base fine, agile, active et concentrée. Enceinte, j'ai l'impression d'être mi-poutre mi-parpaing.
Lente et maladroite, je me cogne dans les encadrements de porte, aux meubles. Comme si mon cerveau n'avait pas enregistré les nouvelles dimensions de mon corps.
Cerveau qui s'est barré en vacances sans billet de retour…
Du coup, je range mes clés dans le frigo, le pain dans les casseroles. Non, vraiment, parfois, je m'effrayais d'autant de distraction.
Parfois, je rêvais tellement de retrouver un peu d'intimité avec moi-même que j'aurais voulu pouvoir déposer mon gros ventre quelque part, quelques heures, pour être seule avec moi.
Je me sentais comprimée, trop remplie, comme s'il n'y avait pas assez de place, frappée de l'intérieur, mes organes déplacés, réveillée la nuit par ce colocataire aux horaires improbables.
Pour les deux grossesses, c'était devenu "ce corps" et plus "mon corps", comme si je patientais à l'intérieur de récupérer mes contours pour moi.
Coincée dans un corps qui ne m'appartenait plus, que je ne reconnaissais plus.
J'étais colonisée ; mon corps, mon cerveau, mon être entier était au service de la grossesse. Ce qui, en réalité, est extrêmement bien fait et puissant, mais je le vivais comme un emprisonnement.
Aujourd'hui, en voyant mon fils, je sais que si j'avais pu le rencontrer avant qu'il vienne s'installer en moi, la cohabitation aurait eu une autre saveur. C'est différent quand on aime autant une personne et qu'on la connaît.
Mais à ce moment-là, je ne le connaissais pas et c'était un petit étranger à l'intérieur de moi qui dirigeait ma vie, mon temps de sommeil, détraquait ma vessie, faisait gonfler mes pieds, m'obligeait à me tartiner d'huile, réduisait ce que je pouvais manger...
Je vous rassure, chère maman, si vous êtes actuellement enceinte et que vous vous retrouvez dans mes mots ; dès qu'ils naissent, ils savent comment nous conquérir, on les rencontre et tout est différent.
Nourriture
Une des choses qui a été le plus éprouvant pour moi, ça a été mon rapport à la nourriture qui s'est complètement transformé.
J'ai toujours été gourmande, mais pendant ma grossesse, cela a pris des proportions gargantuesques. J'étais affamée en permanence, je n'avais plus de sentiment de satiété, je ne pensais qu'à manger, je pouvais manger jusqu'à en avoir mal au ventre. Et évidemment, l'appel était pour du sucré, du gras, du salé.
À peine un repas fini, je réfléchissais déjà à ce que j'allais manger ensuite. C'était comme des pulsions que je peinais à contrôler. La nourriture était devenue à la fois le pansement et la base d'une énorme culpabilité. Car chaque kilo pris, je le payais en douleurs ligamentaires supplémentaires.
Vous l'imaginez bien, les kilos se sont installés très vite. Pour mon aîné, j'avais pris 9 kg sur toute ma grossesse en ne faisant pas attention. Pour celle-ci, j'étais déjà à +11kg à 4 mois.
Faire les courses, sortir, voir une publicité était devenu stressant, car la nourriture était partout et je voulais tout manger.
J'ai dû m'obliger à me resservir des quantités normales et équilibrées, ce qui me laissait dans un sentiment de "privation" perpétuelle, de frustration, car je n'étais jamais rassasiée.
Au prix de grands efforts et de beaucoup de frustration, j'ai pris un total de 17 kg. Pour autant, ce poids supplémentaire n'a rien de grave ni d'anormal, mais il était compliqué à gérer pour moi.
Le mental
Ce rapport à la nourriture jouait sur mon mental, et je suis tombée dans une sorte de boucle qui me tirait vers le bas.
Vous savez, l'espèce de monstre au-dessus de la tête qui vous dit :
"Tu es grosse, tu es moche, tu es une mauvaise mère car tu n'arrives pas à t'empêcher de manger même pour ton bébé, tu ne te reverras jamais mince, tu ne retrouveras jamais ton corps, tu ne retrouveras jamais d'emploi."
Et sur le chemin de la culpabilité, je tombais dans la dépression.
Je m'enfermais un peu plus chaque jour, d'abord dans ma maison, puis dans le silence, je ne voulais plus qu'on me prenne en photo, je ne voulais plus qu'on me voie enceinte, car je ne voulais pas qu'on me voie grosse. Je ne me reconnaissais pas, je ne me supportais plus.
La tristesse avait pris le dessus, et cette période que tout le monde semble tant apprécier, je ne l’ai pas trouvée agréable.
Je me sentais isolée, frustrée, piégée dans mon propre corps, avec l'impression que le monde extérieur ne comprenait pas, que les attentes sociétales de la "maternité épanouie" ne correspondaient pas du tout à ce que je vivais.
C'était difficile de me sentir soutenue, car je ressentais la pression de devoir être "heureuse" et "rayonnante", ce qui ne faisait qu'amplifier ma détresse.
Je me souviens aussi de m'être sentie coupable de ne pas aimer la grossesse, comme si je n'étais pas à la hauteur de ce rôle de future maman. Mais il est important de se rappeler que chaque expérience est unique, et que ressentir ce que j'ai ressenti n'enlève rien à l'amour immense que je porte à mes enfants. Je les ai désirés plus que tout au monde, et c'est cela qui compte au final. Mais il est aussi normal et acceptable de ne pas aimer chaque étape du processus.